La révolution industrielle de la fin du XIXe
siècle a aussi été musicale. Elle a marqué
l’entrée de l’électricité dans
le monde de la musique. L’électro-acoustique a non
seulement enrichi l’univers sonore des instruments, elle les
a même parfois radicalement métamorphosés. C’est
ainsi qu’est apparue la guitare électrique, qui a profondément
transformé la musique populaire. Let’s rock’n’roll.
« Dans
les années trente, à l’époque des « big
bands » de jazz, la guitare ne faisait plus le poids
sonore face aux autres instruments, raconte Kaïs Demers,
musicien-compositeur et étudiant au doctorat au Laboratoire
d’informatique, acoustique et musique de l’Université
de Montréal. Alors, on lui a donné son propre
micro relié à un amplificateur pour qu’elle
se fasse entendre. » Le micro captait les vibrations
sonores de la guitare et les transformait en signaux électriques.
Ces derniers faisaient alors vibrer la membrane d’un haut-parleur
créant ainsi des vibrations sonores plus puissantes que celles
de la guitare seule.
En 1950, c’est la fusion entre l’électrique
et l’acoustique. Avec l’amplification électrique,
la caisse de résonance devient inutile. Le luthier Léo
Fender la supprime. Il la remplace par une pièce de bois
plus mince et pleine. Les micros y sont incorporés juste
sous les cordes, pour bien capter les vibrations. Cette symbiose
entre la guitare et l’amplificateur donne naissance à
la guitare électrique. Le public découvre alors un
nouveau son. La vague du rock’n’roll s’apprête
à déferler.
Jimi Hendrix interprète
The Wind Cries Mary pendant un spectacle en 1967
Une musique électrisante
Il
ne faudra pas beaucoup de temps pour réaliser qu’il
est possible de produire de nouveaux sons en manipulant le signal
électrique émis par cette guitare. Jimi Hendrix est
l’un des premiers à exploiter cette possibilité,
notamment en utilisant la distorsion produite par l’amplificateur.
Le son électro-acoustique n’est pas
l’apanage des nouveaux instruments. Les instruments classiques
et les styles existants en profitent aussi. « C’est
le cas du jazz, reprend Kaïs Demers. Ce style a complètement
intégré le son amplifié électrique et
a été transformé par lui. Aujourd’hui,
quand le public pense jazz, il pense à une sonorité
électro-acoustique, au son amplifié de la trompette
de Miles Davis, par exemple. » Mais l’électro-acoustique
ne profite pas à tous les instruments. Ainsi, le violon électrique,
construit sur le même principe que la guitare, reste toujours
marginal.
Dans le cadre de son doctorat, Kaïs Demers explore
l’apport de l’électro-acoustique à son
instrument de prédilection : la clarinette. Il n’en
existe pas de version électrique. Le musicien-chercheur capte
plutôt le son de son instrument à l’aide de micros
comme sur les guitares acoustiques des « big bands ».
« Je cherche à produire de nouvelles sonorités
en étendant le timbre de la clarinette grâce à
l’électro-acoustique », explique-t-il.
Et il ne s’agit pas seulement de modifier une pièce
existante. Kaïs Demers compose sa musique en tenant compte
des possibilités que lui offrent la transformation du son
en signal électrique et sa manipulation. « Je
peux modifier le son en direct, décrit-il. Par exemple,
introduire un délai, créer de l’écho,
faire croire qu’il y a plus d’un instrument qui joue,
favoriser les graves, etc. Le potentiel est immense. »
La recherche n’est pas terminée qu’on
explore déjà d’autres façons de mettre
l’électron au service de la musique grâce à
l’ordinateur. D’un côté, c’est la
synthèse numérique. Des logiciels mieux conçus
et des ordinateurs plus puissants offrent d’immenses possibilités
de création et de manipulation des sons. En même temps,
ils simplifient le processus par rapport aux synthétiseurs
traditionnels. Si bien que des créateurs parlent aujourd’hui
de composition musicale assistée par ordinateur.
De l’autre, on retrouve le monde virtuel. On
tente de construire un instrument numérique qui produirait
un son en fonction des propriétés physiques et acoustiques
numérisées de l’instrument réel. Quand
le modèle sera au point, « on pourra modifier
les paramètres de l’instrument virtuel pour lui faire
produire de nouvelles sonorités, espère Kaïs
Demers, dont des sons d’instruments qui n’existent
pas dans la réalité, comme celui d’une guitare
dont la caisse de résonance serait dix fois plus grosse que
d’ordinaire ou celui d’une clarinette de 30 m de
long. » À quand l’orchestre numérique
en concert?
Kaïs Demers semble sceptique. On ne joue pas
de l’ordinateur comme on joue du piano. Le clavier du premier,
contrairement à celui du second, ne laisse pas beaucoup de
place à une gestuelle expressive de la part du musicien.
Et puis, « les instruments ont une âme »,
conclut-il.