Oubliez un instant l’ambiance calfeutrée
des bibliothèques, imaginez plutôt une foule de jeunes
rassemblés un samedi soir pour entendre un de leurs groupes
préférés. Nous sommes en novembre 2006, et
la Bibliothèque publique de Toronto procède au lancement
de sa nouvelle collection de musique locale. Pour l’occasion,
des concerts sont organisés dans ses deux plus grandes succursales
: l’un dans l’atrium de la bibliothèque de références
au centre-ville et l’autre dans l’auditorium de la bibliothèque
centrale de North York. Les artistes participants ne sont pas connus
– du moins, pas du grand public –, pourtant, les billets
offerts gratuitement se sont envolés rapidement. Ces artistes
sont des figures montantes de la scène underground
locale. Le bouche-à-oreille et les blogs des aficionados
ont fait la promotion des spectacles avant même que la bibliothèque
ne les publicise.
« Un
concert dans une bibliothèque n’est pas un événement
unique en soi mais, ce qui a marqué les esprits, c’est
le fait qu’il allait y avoir de la musique très forte »,
explique la responsable du développement des collections
de la bibliothèque, Susan Caron. En effet, au milieu des
livres ces soirs-là, on a pu entendre des rythmes de rap,
de rock et même d’électro! L’équipe
de Susan Caron est à l’origine de l’initiative.
« L’objectif derrière cet événement
était de présenter la bibliothèque d’une
nouvelle façon aux jeunes, de leur montrer qu’elle
avait quelque chose à leur offrir », indique-t-elle.
Cette « chose » était la nouvelle collection
de disques compacts que l’institution venait d’acheter :
des disques d’artistes émergents locaux, produits sous
des étiquettes indépendantes. Quelque 300 nouveaux
titres destinés principalement aux 17 à 24 ans,
un groupe souvent mal desservi par les bibliothèques, estime
Mme Caron.
Masia One et Gentleman Reg sont deux artistes
de Toronto qui feront partie de la prochaine édition de Make
Some Noise à la bibliothèque centrale de North
York.
Un succès répété
Les jeunes ont répondu à l’appel
en grand nombre, certains avouant ne pas avoir mis les pieds dans
une bibliothèque depuis leur tendre enfance. Un réel
succès que la bibliothèque a décidé
de répéter l’année suivante en ajoutant
une série d’ateliers. Les aspirants D.J.,
producteurs ou critiques de musique ont alors pu parfaire leurs
connaissances directement auprès de vrais pros. Le soir du
spectacle, une bibliothécaire enregistrait les nouveaux membres,
soit une vingtaine d’abonnés supplémentaires!
Une nouvelle édition de l’événement est
déjà prévue pour 2008.
En plus de démystifier la bibliothèque
auprès des jeunes, le projet permet de soutenir la communauté
artistique locale. « Nous tenons à payer les
disques compacts et n’acceptons aucun don, explique Mme
Caron, ce qui nous permet de nous engager auprès des
musiciens et de garder un certain contrôle sur la qualité
de nos acquisitions. » En fait, la bibliothèque
travaille en partenariat avec le magasin Soundscape, le disquaire
de référence en matière de musique indépendante
à Toronto, et n’achète que ce qui est recommandé
par ce dernier.
Même si la bibliothèque alloue un budget
annuel de 25 000 $ au renouvellement de sa nouvelle collection
de disques indépendants, Susan Caron admet qu’avec
le téléchargement de fichiers sur Internet, les CD
sont appelés à disparaître des rayons. En fait,
depuis 2002, l’institution a noté une baisse de 20 %
de l’utilisation de son matériel audio, toutes collections
confondues. Mais Mme Caron ne s’en alarme pas, bien au contraire.
« J’aimerais que nos collections audio et vidéo
soient entièrement téléchargeables »,
lance-t-elle. La bibliothèque est d’ailleurs déjà
entrée dans l’ère numérique et offre
quelques items à télécharger sur son site.
« Cela nous facilite la vie puisque les éléments
téléchargés s’effacent automatiquement
quand la durée du prêt vient à échéance »,
explique-t-elle. Une solution intéressante pour ceux et celles
qui collectionnent les amendes de retard!