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Musique et science :
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La musique en bandes dessinées

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Didier Lockwood. Photo : Wikipédia

Mots-clés : musique, violon, science, école, transdisciplinarité

Violoniste de renommée internationale, compositeur, auteur dramaturge et peintre, Didier Lockwood brille par sa virtuosité, sa transdisciplinarité et son audace pédagogique. Scientifique à sa manière, il défriche, cherche, expérimente hors des normes et des sentiers battus. Sa science? Le sensible ou tout ce qui est susceptible d’être senti. Entretien avec un maître en la matière.

Quand vous évoquez la musique, vous parlez d’un langage maternel et universel. Que voulez-vous dire?

La musique est un langage universel et maternel parce qu’elle est un objet de communication, elle parle au-delà des mots; comme un enfant qui communique avec sa mère avant même de savoir parler, la musique a son vocabulaire, son phrasé, ses respirations, ses symboles et ses rythmes. La musique ne relève pas au départ d’un processus intellectuel, mais plutôt d’un processus organique. Comme d’autres arts d’ailleurs. Pouvons-nous considérer qu’une personne qui ne saurait ni lire ni écrire puisse être poète? Bien sûr que oui! L’oralité est là, avant la théorie. C’est pourquoi il me semble si important de comprendre la musique, de l’écouter et de la sentir avant d’en apprendre l’écriture.

 
 
Concert à l’Ile de la Réunion (1990)

Pourrions-nous dire que la musique est aussi un langage transdisciplinaire?

Tout à fait! La musique est un langage transdisciplinaire au même titre que les arts en général. Que ce soit le dessin, la peinture, la danse, le chant, la sculpture ou l’architecture, tous les arts participent aux mêmes fondements. Tout y est question de rythme, d’harmonie, de contrepoint, et d’espace. Seuls la matière et le support varient. Nous sommes là dans le monde du sensible, qui ouvre la voie à celui de l’intelligible. Je milite depuis longtemps en faveur d’une approche généralisée du sensible dans les écoles, car les sensations, par les émotions qu’elles suscitent, permettent d’éveiller la curiosité nécessaire pour aborder les disciplines plus rationnelles. Dès l’année prochaine, l’enseignement de l’histoire des arts – et non de l’histoire de l’art qui a une connotation exclusive « beaux-arts » – entrera dans le programme scolaire comme discipline transversale en France. Un professeur pourra alors aborder une œuvre littéraire, ou n’importe quelle autre matière, par la musique, la peinture ou la photo. Disons que le sensible serait un vecteur d’inoculation pour les matières jugées généralement rébarbatives car désincarnées.

 

Photo : DidierLockwood.com

La science est-elle aussi une discipline où le sensible a sa place?

La science est la discipline par excellence où le lien entre le sensible et le sensé est très intime. Bien qu’elle soit considérée comme exacte et à priori éloignée du sensible, la science accorde une place majeure à l’intuition, elle-même reliée à l’émotionnel et au sensible. En parlant du sensible, nous ne sommes pas dans le champ ésotérique; au contraire, une émotion, une pensée, un souvenir, un rêve, une perception ou une intuition relèvent de processus neuronaux formels que la science décrypte petit à petit. Cela existe au même titre qu’un tibia ou un cœur! En extrapolant, on peut dire que tout est science : la musique, la poésie, etc. Moi-même, en tant que musicien, je suis dans une démarche scientifique. La rigueur, le développement de l’imaginaire, l’intuition et les fonctions logiques relèvent de la musique et de la science. L’improvisation, qui fait place au hasard, ne fait-elle pas partie des fonctions impératives du développement de la Vie?

 
Le Centre des Musiques Didier Lockwood. Photo : CMDL

Quelle serait pour vous l’école idéale?

Dans une école idéale, on apprendrait à entendre, s’entendre, apprécier, sentir, développer son goût et se connaître soi-même. Et surtout, on y développerait la curiosité. On apprendrait qu’apprendre, ça sert à quelque chose, ne serait-ce qu’au simple plaisir d’apprendre!

C’est ce que j’ai voulu mettre en place, en 2001, au Centre des musiques Didier Lockwood. Ce centre, qui accueille actuellement des musiciens issus en général du cursus classique, permet d’apprendre à réinventer la musique comme langage universel, de l’incarner et de l’intégrer dans un processus artistique plus global. Les exercices pratiqués sont variés et s’inspirent de la danse et du théâtre. Mais c’est difficile! Si ces musiciens avaient pu apprendre à sentir, entendre et regarder avant d’apprendre la technique et la théorie musicale, cela serait plus facile. C’est comme si on leur avait donné un contenant sans contenu! D’ici cinq ou six ans, j’aimerais que le centre accueille d’autres disciplines artistiques comme la danse, les arts plastiques, le théâtre et qu’il devienne « la cité des arts de l’improvisation ». Mais la voie est rude parce que cette démarche va à l’encontre d’une forte tradition intellectuelle française!


Odile Clerc
Collaboration spéciale