La mer n’est pas un oasis de silence. Au contraire,
c’est un univers sonore étonnant. Les baleines y chantent.
Leurs sons longs et plaintifs ressemblent à des mélodies.
Pour mieux comprendre leurs comportements sous-marins, les chercheurs
ont décidé d’étudier les sons qu’elles
émettent.
Pour évoluer dans un milieu sans lumière,
les cétacés ont développé un système
auditif complexe. Ils perçoivent leur environnement grâce
à des émissions sonores. Les cétacés
sont les spécialistes des ultrasons. À la manière
d’un radar, ces ondes sonores leur renvoient une image acoustique.
C’est l’écholocation. Chaque espèce possède
son propre spectrogramme. Par exemple, la baleine bleue émet
un infrason de 17 Hz tellement puissant qu’on peut l’entendre
sur plusieurs milliers de kilomètres. Il faut bien s’adapter
à un terrain de jeu aussi vaste que l’océan…
Rorqual à bosse en démonstration
Le chant de la baleine
bleue, accéléré 10 fois (Source : NOAA)
Des rorquals qui
vocalisent
Au milieu du golfe du Saint-Laurent, un chercheur
de la station de recherche des îles Mingan, écoute
les sons que lui transmet son microphone plongé dans l’eau.
« L’hydrophone n’a pas enregistré
beaucoup de sons même s’il y a plusieurs rorquals communs
ici », explique Julien Delarue, étudiant
à la maîtrise au Collège de l’Atlantique
de Bar Harbor, aux États-Unis. Et pourtant, ils vocalisent!
Les baleines émettent des sons d’une grande variété :
meuglements, gargouillements, grognements ou sons de cloche. Chaque
son est associé à un comportement précis :
évaluation du milieu environnant, chasse ou socialisation.
« Les rorquals communs ne sont pas très bavards
lorsqu’ils se nourrissent, explique M. Delarue. Ils
chantent surtout en hiver, durant la période de reproduction. »
Ces chants sont produits uniquement par les mâles qui les
répètent en séquences organisées. Une
manière d’attirer les femelles pour pouvoir ensuite
s’accoupler.
La bioacoustique étudie les sons et les chants
émis par les baleines. Ces sons renseignent les scientifiques
sur les activités des différentes espèces.
« La bioacoustique sert à estimer la taille
d’une population particulière », explique
le chercheur. Grâce à un réseau d’hydrophones
permanents, les biologistes peuvent donc agir sur la conservation.
Un chercheur place
une balise acoustique sur le dos d’un rorqual à bosse,
ce qui permettra d’entendre et de suivre les déplacements
du cétacé. (Source : NOAA)
La bioacoustique
au service de la conservation
L’acoustique passive va même plus loin.
« Notre but est d’utiliser les sons produits
par les cachalots et les autres mammifères marins pour limiter
le nombre de collisions avec les bateaux », nous
confie Michel André, chercheur au laboratoire d’applications
bioacoustiques de l’Université polytechnique de Catalogne
en Espagne. « Aux Canaries, on dénombre une
perte d’au moins dix cachalots par an à cause
des collisions avec les bateaux. Sur une population de 350 individus,
c’est un taux important ».
Les cétacés envoient des signaux acoustiques
pour sonder leur environnement, trouver des proies, communiquer
entre eux et optimiser leur chasse. Ces sons, captés par
des antennes et couplés à une imagerie par analyse
de bruit ambiant, permettent de localiser un individu de n’importe
quelle espèce. Déployé de manière permanente,
ce système permettrait aux navigateurs de connaître
la position exacte des cétacés et d’ajuster
leur trajectoire.
David
Rothenberg, philosophe et clarinettiste, tente de communiquer
avec des bélugas.
Il a aussi fait l’expérience avec des oiseaux.
Un monde pas si
silencieux
En collaboration avec le Groupe d’études
des mammifères marins de Tadoussac, Peter Scheifele, professeur
de l’Université du Connecticut, s’intéresse
aux relations entre les chants des bélugas et les interférences
humaines. « Pour combler le bruit créé
par les humains, les baleines doivent vocaliser de plus en plus
fort. Les bélugas peinent à communiquer entre eux
ce qui rend la recherche de nourriture et l’accouplement plus
difficiles. »
Parfois, le bruit ambiant endommage temporairement
le système auditif des baleines. Elles ne parviennent plus
à capter les basses fréquences émises par les
bateaux et sont plus exposées aux collisions. Les dommages
auditifs peuvent aussi être permanents. « Les
baleines à bec sont les plus touchées par les essais
des sonars sous-marins », déplore Julien
Delarue. Ce problème de pollution sonore préoccupe
les chercheurs. L’Administration nationale océanique
et atmosphérique (NOAA), aux États-Unis, tente de
déterminer les limites auxquelles peuvent être exposés
sans danger ces mammifères marins.
Les baleines chantent. Tendons l’oreille pour
les écouter. Elles nous dévoileront peut-être
leurs secrets…