Mots-clés :
arbre, luthier, musique, facteur, violon, instruments de musique,
bois
Avez-vous déjà écouté
un arbre chanter? Si la forêt bruisse sous la caresse
du vent, son ventre renferme mille et un instruments en devenir
en commençant par les percussions, sans doute, les premiers
objets sonores que l’homme ait façonnés avec
elle.
L’exposition itinérante Le Bois
qui chante, conçue par la Maison de l’arbre du
Jardin botanique de Montréal, propose un véritable
tour de piste de la transformation musicale de l’arbre, de
la forêt à la porte des artisans. Un gigantesque xylophone
suspendu verticalement au plafond accueille les visiteurs et les
invite à frapper, à l’aide de baguettes, ses
lames de différentes essences. La musique naît alors
de la large gamme de sons, du mat provenant de bois tendre et léger
jusqu’à la sonorité cristalline des bois durs.
« C’est une exposition très
vivante, à la fois sonore et visuelle, explique Wladimir
Rousse, animateur à la Maison de l’arbre. Il y
a de nombreux instruments de musique démontés, des
troncs d’arbres, de la musique et des vidéos. »
Les essences d’une
voix
Les forêts sont l’une des premières
sources de matériel pour la production d’instruments
de musique. Et le Québec n’a pas à rougir des
siennes, car elles recèlent des essences très recherchées
par les luthiers, par exemple l’érable à sucre
et l’épinette blanche.
« L’érable et l’épinette
sont les deux essences que je privilégie »,
relève Jean-Benoît Stensland. Ce luthier, ou « facteur »,
terme qui désigne un artisan spécialisé dans
la fabrication, l'entretien et la réparation des instruments
de musique, a fabriqué près de 350 instruments, dont
un violoncelle qui figure dans la collection permanente du Musée
canadien des civilisations.
Son
atelier qu’il partage avec Thérèse Girard, sa
consœur et conjointe, renferme une vaste palette d’essences.
Chacune attend d’être utilisée pour une pièce
bien définie d’un violon ou d’un violoncelle.
Ainsi, des planches d’érable deviendront une caisse
de violon alto ou de violoncelle en raison de leur densité
et de leur bonne résonance. Le dessus du violon que l’on
nomme table supérieure ou d’harmonie sera tiré
de l’épinette ou du sapin, du bois léger, solide
et résonnant. Percée de deux ouïes en forme de
« f », cette pièce est très
importante pour la sonorité du violon, d’où
le choix d’un bois qui « vibre verticalement ».
L’épinette se retrouve aussi, pour les mêmes
raisons, dans l’âme de l’instrument, cette petite
pièce de bois cylindrique insérée dans la caisse
de résonance du violon.
Musiciennes d’ici
et d’ailleurs
Certaines essences de bois sont plus naturellement
musiciennes que d’autres, à commencer par l’érable.
Cet arbre célébré par les gourmands présente
des caractéristiques indéniables pour les facteurs
d’instruments : résistance, densité, dureté
et résonance.
Jean-Benoît Stensland avoue s’être
livré à des essais en remplaçant l’érable
par des bois fruitiers. « Le cerisier est bon pour
les gros instruments, mais pas pour le violon, car sa sonorité
est trop sombre. Le peuplier et le noyer sont intéressants
pour le violoncelle. Ils apportent un timbre différent, plus
moelleux », explique le luthier. Mais il lui faut
des planches de belles dimensions, une contrainte de taille.
Plusieurs essences tropicales sont également
utilisées en lutherie : de l’ébène
pour les chevilles, le chevillier et le cordier; du bois de Pernambouc
pour l’archet et du buis ou du palissandre pour la mentonnière.
La symphonie des
bois
Dans la forêt, la maturation d’un arbre
annonce toutes les promesses d’un instrument. Pourtant, il
y a peu d’élus en raison de toutes les qualités
recherchées sous l’écorce. Seulement entre 0,5
et un pour cent des arbres de nos forêts sont remarquables
pour la lutherie.
Le facteur recherche un bois léger et résistant
offrant certaines caractéristiques précises. « Je
vais choisir les planches d’un arbre qui a poussé lentement
dont les grains sont homogènes, qui a une belle couleur et
qui sonne bien » explique Jean-Benoît Stensland.
En cognant le bois, il est déjà possible d’entendre
la voix claire et forte du tronc. On va aussi se servir d’une
sonde de Pressier pour prélever une carotte de bois et s’assurer
que le bois est sain.
Le moment de la coupe de l’arbre s’avère
également important pour la carrière future du bois.
Elle s’effectue durant l’hiver, en l’absence de
circulation de la sève. Le bois plus sec risquera moins de
fendre. Il devra sécher encore durant quelques années
avant d’être utilisé.
Entrevue avec Jan Strick, luthier
et directeur de la Maison Bernard à Bruxelles
Musique vivante
Pour façonner son instrument, le facteur
va se fier aux propriétés acoustiques des essences
– la densité, la résistance et l’élasticité
sont recherchées – et ne jamais oublier lorsqu’il
donne forme à ses différentes pièces que le
bois est vivant.
Un violon mûrit avec le temps. Il obéit
à un système complexe de réactions mécaniques
mais ses caractéristiques sonores propres, celles qui n’appartiennent
qu’à lui, tiennent du talent du facteur. C’est
lui qui va décider de ses proportions, choisir la qualité
de ses essences et leur mariage, tracer les ouïes… Bref,
c’est l’homme qui va donner une âme à cet
assemblage de matière ligneuse et lui permettre de chanter.
Isabelle Burgun Collaboration spéciale
« Le Bois qui chante,
de l’arbre à la musique », l’exposition
itinérante de la Maison de l’arbre du Jardin botanique
de Montréal sera du 14 juin au 24 août 2008 au Centre
d’exposition de Repentigny :www2.ville.montreal.qc.ca/jardin/arbre/boisquichante.htm