Le film Le violon rouge de François
Girard raconte le destin d’un violon exceptionnel à
travers ses propriétaires successifs, les époques
et les frontières. Le spectateur n’apprend qu’à
la fin le terrible secret derrière sa fabrication : la douleur
d’un luthier qui perd l’être qu’il aime
le plus au monde. Dans la réalité, la qualité
d’un instrument de musique dépend de propriétés
acoustiques beaucoup moins dramatiques.
« L’instrument de bonne qualité
est celui qui permet au musicien de communiquer des émotions »,
affirme tout simplement Caroline Traube du Laboratoire d'informatique,
acoustique et musique de l’Université de Montréal.
Autrement dit, c’est celui qui offre à l’instrumentiste
la plus grande gamme de sons possible. Autant de petits sortilèges
que celui-ci nous lancera pour nous envoûter, comme le peintre
utilise ses couleurs sur la toile. On dira de cet instrument qu’il
possède une large palette de timbres.
Le timbre, avec l’intensité et la hauteur,
est une composante du son. « C’est sa couleur
particulière, continue Caroline Traube. C’est
ce qui permet de distinguer deux instruments alors qu’ils
jouent la même note à la même intensité,
ou bien des sons différents pour la même note jouée
par un seul instrument. » C’est dans ce dernier
cas que la palette de timbres prend toute son importance :
quand l’instrument permet au musicien de créer des
sonorités différentes et parfois uniques pour une
même note.
Bande-annonce du film
Le violon rouge, de François Girard
Quand la vibration
va, tout va!
Les sons sont des vibrations de l’air captées
par le tympan de l’oreille interne. Ils naissent des vibrations
produites par le musicien à l’aide d’un instrument :
vibration d’une corde, de l’air soufflé ou d’un
matériau frappé. Ces vibrations ne sont pas assez
fortes pour être bien détectées par l’oreille.
« C’est le rôle de l’instrument
de musique de transférer fidèlement la vibration de
départ à une autre partie de l’instrument. Celle-ci,
en se mettant à vibrer elle-même, fera vibrer une plus
grande masse d’air et produira un son plus fort, explique
Caroline Traube. C’est ce que fait la caisse de résonance
d’un instrument à cordes comme le violon. »
La fidélité de la transmission des
vibrations est primordiale. Tellement que le petit bloc de bois
qui les conduit au fond de la caisse de résonance d’un
violon a pris le nom d’âme du violon! « C’est
la première pièce à examiner quand on veut
faire ajuster cet instrument », renchérit
Caroline Traube.
Le choix des matériaux est évidemment
essentiel. Le bois du violon doit être flexible pour vibrer.
Mais attention! Trop mou, il absorbera la vibration et étouffera
le son. Trop rigide, il ne vibrera pas. Ainsi, le fond est souvent
fait d’érable et la table d’harmonie d’épicéa.
Comment détermine-t-on les matériaux à utiliser?
Par essais et par erreurs.
Les instruments sont
des êtres sensibles
Pour qu’un violon possède une large
palette de timbres, sa caisse de résonance doit pouvoir détecter
le moindre changement de vibration d’une corde. On peut entendre
une note se transformer au cours d’un seul geste du violoniste.
Elle garde sa hauteur et sa force, mais elle évolue. « Le
violoniste a simplement changé la pression qu’il exerçait
sur la corde avec son archet ou a modifié l’inclinaison
de celui-ci, explique Caroline Traube. La corde ne vibre
donc plus tout à fait de la même façon. Et la
caisse de résonance détecte cette différence.
Sur la même note, le musicien peut ainsi créer un univers
sonore plus riche pour toucher l’auditoire. »
Mais
les vibrations ne se laissent pas toujours domestiquer. Pour certaines
d’entre elles, la caisse de résonance s’emballe
parfois et vibre trop fort. Si ces vibrations correspondent à
une note, cette dernière sortira avec trop d’intensité.
Et on aura l’impression que l’instrument, ou le violoniste,
fausse.
Le défi des luthiers est donc de taille :
construire des violons et leur caisse de résonance de façon
à obtenir le maximum de sensibilité et de potentiel
vibratoire tout en s’assurant qu’ils ne s’emballeront
à aucune des notes jouées. Pour cela, en plus des
matériaux, ils doivent déterminer la forme du violon,
le volume d’air contenu dans la caisse de résonance,
la taille des ouïes et plusieurs autres paramètres.
Sans parler du soin dont ils doivent faire preuve pendant la construction
elle-même. Quelle équation!
« Malgré tout cela, conclut
Caroline Traube, l’important, c’est le couple musicien-instrument.
S’il y a un défaut et qu’un instrumentiste s’en
sert pour faire passer des émotions, ce défaut devient
à toutes fins pratiques une qualité! »
Bruno Lamolet Collaboration spéciale
Antal Zalai, Concerto
pour violon en ré majeur, op. 35, de Tchaïkovski