« Il y
a beaucoup de points communs entre l’art et la recherche »,
estime Serge Rossignol, chercheur et pianiste.
Mots-clés :
musique, neurosciences, piano
Quand Serge Rossignol est devenu le premier Canadien
à obtenir la médaille de la Fondation Christopher-Reeve,
dotée d’une bourse de 25 000 $, il s’est
enfin payé… un piano à queue. « J’ai
toujours joué, mais je n’avais jamais possédé
un bon instrument », dit-il en prenant place devant
le magnifique Young Chang qui trône au salon de sa maison,
à Notre-Dame-de-Grâce.
Avec sa femme, la soprano Céline Dussault,
qui est aussi pianiste, le neurologue entame la Fantaisie
de Franz Schubert. Serrant les dents, il se concentre sur la partition
alors que les quatre mains se chevauchent sur le clavier. Tandis
que le journaliste s’efforce de tourner les pages au bon moment,
la musique s’élève. La Fantaisie est
l’une des œuvres les plus difficiles à avoir été
écrites pour le piano, et seuls les virtuoses s’y risquent.
Le couple s’en tire admirablement.
Reconnu mondialement pour ses travaux sur la régénération
de la moelle épinière, Serge Rossignol, professeur
au département de physiologie de l’Université
de Montréal, garde pour lui le fait qu’il a hésité
quelque temps, adolescent, entre la musique et la médecine.
« À 15 ans, je passais plus de temps
avec Jean-Sébastien Bach et Theilhard de Chardin qu’avec
les filles de mon âge », dit-il en s’esclaffant.
Choisissant le meilleur des deux mondes, il a plongé
dans la science sans renoncer à la musique. Même dans
son travail de laboratoire, ce chercheur, qui dirige plusieurs groupes
de recherche en sciences neurologiques, estime que la créativité
scientifique est très proche de celle qui habite les interprètes.
« Je suis convaincu qu’on déploie autant
d’énergie créatrice devant une œuvre de
Schubert que lorsqu’on se concentre sur un article pour une
revue savante », dit-il.
Mélomane perpétuel, il choisit ses
œuvres en fonction des objectifs de travail. Quand il planche
sur un gros article en recherches fondamentales, il met du Wagner.
Pour une demande de fonds, c’est plutôt Mozart...
Vedette des neurosciences
À
titre de chercheur, Rossignol est l’une des vedettes des neurosciences
canadiennes. L’une de ses recherches a démontré
que les chats adultes pouvaient récupérer une fonction
locomotrice des membres postérieurs après une section
complète de la moelle épinière. Après
une opération de greffe, l’animal est capable de retrouver
certains réflexes. Sur une bande vidéo, on voit clairement
les pattes arrière de l’animal avancer sur un tapis
roulant. Le chat ne les contrôle pas avec précision,
mais celles-ci retrouvent une partie de leurs fonctions. C’est
ce qu’on appelle la récupération fonctionnelle.
L’expérimentation sur des sujets humains n’est
pas encore entamée, mais les chercheurs voient l’avenir
avec optimisme.
Cette expérience a mis en pièces une
certaine conception de la neurologie. « Quand j’ai
fait mes études de médecine, on disait que les cellules
neuronales ne se régénéraient pas, explique-t-il.
Ce dogme est aujourd’hui abandonné. Non seulement
elles se régénèrent, mais diverses techniques
comme la transplantation de cellules ouvrent la voie à des
thérapies prometteuses. »
Ses travaux ont permis de faire progresser les connaissances
dans le traitement des dommages causés à la moelle
épinière et la réhabilitation des patients
victimes de tels traumatismes. Le neurologue a été
décoré pour ses réalisations : Ordre national
du Québec, prix Léo-Pariseau, médaille Christopher-Reeve.
Au cours d’une entrevue téléphonique réalisée
en 2001, l’homme qui a incarné Superman a rendu hommage
à ses travaux. « Quand j’ai eu mon accident,
en 1995, je ne connaissais pas grand-chose à la recherche
en sciences neurologiques, disait l’acteur américain
victime d’une chute de cheval qui l’a rendu quadraplégique.
Mais je me suis beaucoup intéressé à cette
question depuis, et j’ai eu le plaisir de constater que de
grands pas ont été accomplis depuis six ans. »
Malheureusement, Christopher Reeve est décédé
en 2004 avant de réaliser son grand rêve : marcher
de nouveau.
Grand-père
saltimbanque
Avec ses cheveux blancs en bataille et son regard
pénétrant, Serge Rossignol est physiquement à
mi-chemin entre Charles Dutoit et le professeur Tournesol. Son grand-père
maternel, qu’il n’a jamais vu de sa vie, était
un authentique saltimbanque qui se déplaçait dans
une caravane de cirque. « J’ai grandi dans
le quartier Rosemont. Ma famille n’était pas très
tournée vers les sciences, mais appréciait les arts »,
dit le frère de la comédienne Michelle Rossignol.
Son amour de la musique va de Jean-Sébastien
Bach au jazzman Bill Evans. Mais c’est aussi un homme de culture
comme en témoignent la liste de ses romanciers préférés :
Mordecai Richler, Oliver Sacks, Andreï Makine et Michel Tremblay.
Avec Céline Dussault, il forme un couple depuis
18 ans et leur union est placée sous le signe de la
musique. Le coup de foudre a d’ailleurs eu lieu dans la chapelle
de l’église Saint-Jean-Baptiste, alors que la soliste
interprétait les Leçons de ténèbres
de François Couperin. « Ça m’a
touché droit au cœur », dit-il.
Une chanteuse avec un Rossignol : le match parfait
!
Professeure au cégep Lionel-Groulx, Mme Dussault
continue de se produire devant public, mais elle affectionne de
plus en plus le piano, qu’elle joue depuis son enfance. « Regardez
notre collection de partitions à quatre mains »,
dit mon hôte en ouvrant le placard de pin du salon. Au moins
200 reliures glanées ici et là chez les libraires
et antiquaires d’Amérique et d’Europe sont classées
devant nous. Beaucoup de pain sur la planche pour le couple musicien.
Le duo a donné plusieurs concerts « officiels »
dans le cadre du Festival international de piano à quatre
mains, qui s’est tenu de 1997 à 2002 à Montréal,
mais il se contente désormais d’un auditoire d’amis,
réuni une fois par an dans la maison familiale. Le dernier
programme était intégralement consacré à
Dvorjak. L’assistance était composée d’une
vingtaine de personnes.
À 64 ans, le chercheur n’a aucune
intention d’accrocher ses patins de chercheurs. Quant à
sa carrière artistique, il a un seul objectif : « faire
plus de jazz ».