|
|
|
|
|
|
Mots-clés :
cerveau, musique, université
Adepte du piano et de l’alto, Christine Beckett
est professeure au département de musique de l’Université
Concordia. Mais sur son bureau ne traînent pas que des partitions.
Des images de scans cérébraux – un peu comme
ceux que l’on voit dans les cabinets de médecins –
remplissent ses cartables. C’est que depuis quelques années,
la musicienne collabore avec les neuropsychologues du laboratoire
BRAMS (pour Brain, Music and Sound) et explore les régions
du cerveau qui aident à « comprendre »
la musique.
« Comment l’être humain
arrive-t-il à différencier la musique d’une
série de sons sans intérêt?, se questionne-t-elle.
Pourquoi certaines chansons nous détendent-elles alors
que d’autres nous entraînent à danser?
C’est le genre de mystère que l’on veut percer. »
La façon dont le cerveau traite les sons et
la musique a été beaucoup moins étudiée,
dans le passé, que les processus qui gouvernent la vision.
Les chercheurs rattrapent aujourd’hui le temps perdu. Les
équipements d’imagerie cérébrale –
les appareils de résonance magnétique ou les électroencéphalographes,
par exemple – leur permettent de voir le cerveau en action,
quand il est « branché » sur une mélodie. |
|
Cartographier le
cerveau
À
ce jour, les chercheurs ont découvert que la zone du cerveau
située près des oreilles et des tempes joue un rôle
central dans le traitement des paroles et de la musique. « Le
cortex auditif primaire, à la surface du cerveau, reçoit
le son et envoie un message au cortex auditif secondaire, juste
en dessous, qui aide à extraire le sens des signaux reçus »,
explique Christine Beckett.
Mais le périple des notes de musique ne s’arrête
pas là. Des neurones situés aux quatre coins du cerveau
sont sollicités pour nous faire apprécier un air de
jazz, d’opéra ou de reggae. Selon les scientifiques,
les régions nécessaires à l’appréciation
du rythme se trouveraient principalement dans l’hémisphère
droit, celles qui nous aident à saisir la mélodie
seraient plutôt du côté gauche. Pour capter l’harmonie,
les deux hémisphères seraient sollicités.
Dans le cerveau des musiciens, les régions
responsables du rythme, de la mélodie et de l’harmonie
ne sont pas les seules à s’activer. Chez les pianistes
qui écoutent des notes de musique, les régions motrices
responsables de faire bouger les doigts s’animent, même
quand aucun piano ne se trouve dans la pièce. Chez un trompettiste,
la région motrice qui fait mouvoir la bouche et la langue
fait le même travail. Chez certains virtuoses, les régions
responsables de la vision se mettraient aussi de la partie. Ils
pourraient en quelque sorte « voir » les notes.
|
|
|
|
Dans les coulisses
de l’oreille absolue
Les musiciens qui ont « l’oreille
absolue » intéressent tout spécialement
les neuropsychologues. « Ces personnes peuvent, sur
demande, reconnaître ou chanter n’importe quelle note
de musique », explique Christine Beckett. On estime
qu’entre cinq et 10 % des musiciens possèdent
ce don. Avec son collègue Robert Zatorre, professeur au département
de neurologie de l’Université McGill et co-directeur
du BRAMS, la professeure Beckett a scruté le cerveau de quelques-uns
d’entre eux pendant qu’ils écoutaient des notes.
« Leur cortex cérébral s’allumait
à toute vitesse, dans une zone qu’on appelle dorso-latérale-frontale »,
raconte-t-elle.
Les chercheurs avaient beau demander aux sujets installés
dans la machine à résonance magnétique d’ignorer
la musique pour se concentrer sur une tâche cognitive qui
demandait toute leur attention, rien à faire. « Ils
étaient incapables de faire abstraction des notes. Par opposition,
les personnes qui n’avaient pas l’oreille absolue y
arrivaient aisément. »
Les enfants naissent-ils avec ce don ou le développent-ils
à force de s’exercer? Probablement un peu des
deux. On sait que cette habileté court dans les familles.
En contrepartie, les recherches montrent que seuls les enfants exposés
de façon importante à la musique dès un très
jeune âge acquièrent l’oreille absolue. « Les
enfants qui jouent d’un instrument comme le violon, qui demande
d’être accordé régulièrement, sont
plus susceptibles d’y arriver », ajoute Christine
Beckett. |
|
|
|
Musique…?
Connais pas
À l’autre bout du spectre, ceux qui
n’arrivent pas à « ressentir »
la musique intéressent tout autant les chercheurs. Qu’elles
écoutent Au clair de la lune, la 40e Symphonie
de Mozart ou Hells Bells d’AC/DC, ces personnes ont
la même réaction : elles perçoivent la
musique comme un bruit, rien de plus. Elles souffrent d’amusie,
une anomalie qu’on appelle aussi surdité musicale.
« Cette déficience est assez répandue
chez les individus qui ont subi un accident cérébral,
souligne Christine Beckett. Plus récemment, des recherches
ont montré qu’on pouvait aussi en hériter à
la naissance, à cause d’un défaut génétique. »
Isabelle Peretz, professeure au département
de psychologie de l’Université de Montréal et
co-directrice du BRAMS, a rencontré des dizaines de personnes
atteintes d’amusie dans ses laboratoires. Grâce à
l’imagerie, elle a montré qu’une région
située à l’avant du cerveau – le gyrus
frontal inférieur droit – était moins développée
chez les amusiques que chez les sujets « normaux ».
« Pourtant, ceux qui ont du mal à
reconnaître le rythme, la mélodie ou l’harmonie
n’ont aucun problème d’ouïe, dit Isabelle
Peretz. Le site du langage n’est pas touché non
plus. Les personnes atteintes peuvent très bien reconnaître
la voix humaine. Ils arrivent aussi à distinguer la sonnerie
du téléphone de celle de la porte. »
Le mystère est loin d’être éclairci.
En fait, malgré les efforts soutenus des scientifiques,
les recherches sur le cerveau musical n’en sont qu’à
leurs balbutiements. « Avec ses 100 milliards
de neurones, le cerveau est l’objet le plus complexe sur Terre,
souligne Christine Beckett. En y ajoutant la musique, un des
stimulus les plus compliqués qui soient, on se retrouve avec
une énigme profonde, mais passionnante. »
Dominique Forget
Collaboration spéciale
|
|
|
|
|
|