Bonjour Philippe Voisson. Vous êtes collectionneur de silences et venez de sortir un CD intitulé Silences naturels volume 1. Mais, dites-moi, qu’est-ce qu’un collectionneur de silences?

Le collectionneur de silences est comme tout collectionneur sauf que, lui, il collectionne les silences. C’est un peu comme un collecteur d’impôts, mais pour les silences. C’est propre à cette profession.

Oui, c’est particulier, mais vous parlez de profession. Êtes-vous professionnel?

Non, je suis comptable. J’ai deux passions : les chiffres et les silences. Ce n’est pas exactement compatible, car vous savez que les chiffres parlent. Et, je suis bien placé pour le savoir. Donc, les silences me reposent de mon travail.

Pour vous, qu’est-ce qu’un silence?

En quelques mots : c’est un son qui ne s’entend pas, mais qui exprime beaucoup. Il mérite d’être écouté. Il faut d’ailleurs être conscient que des centaines de milliers de silences sont disparus de la Terre à travers le monde, partout où il y a de l’air. Car chacun sait, comme tout le monde, qu’il faut de l’air pour avoir un son. Le silence, non. Les silences sont en voie de disparition, et personne n’a pensé à les collecter.

 

Le silence d’une nuit d´hiver

Existe-t-il, d’après vous, une forme de classification des silences?

Le mot « classification » est un peu fort. Je parlerais plutôt de catégories, car il y a plusieurs catégories. On peut citer les plus importantes ou les plus connues :

- Les petits silences : Ils sont qualifiés de petits par rapport à leur durée, mais il y a des petits silences qui en disent long…

- Les microsilences : En général, ils sont plus petits que les petits silences, mais ils n’ont rien à voir avec les silences radio.

- Les silences de la mouette : J’aime bien ceux-là, car ils sont caractéristiques de la mouette. D’ailleurs, il y a un silence de mouette sur mon premier CD de silences intitulé Silences naturels volume 1.

Je ne vous parlerai pas des autres catégories, ce serait trop long.

Seriez-vous le Darwin des silences?

Allons, vous y allez bien fort. Je ne suis, si vous voulez bien, que l’humble porte-parole des silences, car, arrêtons de passer sous silence, c’est une expression, le bien-fondé de ces moments suspendus sans bruit, sans son.

 

Le silence de la mouette

Certains disent que le silence dérange, car on n’est plus habitué à les entendre ou, du moins, à les écouter. Qu’est-ce que vous en pensez?

Je suis entièrement d’accord. Qui n’a pas subi dans sa vie, lors d’un repas de famille ou d’une réunion, un silence pesant, souvent illustré par un « tiens, on entendrait un ange voler » ou « tiens, une mouche passe » ou bien l’inverse?… Je ne sais plus…

Avez-vous quelques conseils à donner à ceux qui, comme vous, aimeraient contribuer à préserver ces silences?

Tout d’abord, nul doute, il faut les aimer. C’est primordial. Aujourd’hui, nos oreilles croulent sous des tonnes de sons, de bruits. Et, ce n’est pas à cause du trou dans la couche d’ozone, mais plutôt à cause de la couche de cire que l’on a dans les oreilles… Je plaisante, bien sûr, mais les silences se font très rares. Il faut les collecter et les conserver pendant qu’il est encore temps.

Première chose : Être bien équipé

Tenue de terrain adaptée suivant la saison et le terrain. Important : la semelle des chaussures doit être en feutrine pour éviter que le silence ne vous entende arriver. Personnellement, je porte toujours des charentaises. Un bon matériel d’enregistrement composé d’un bon microphone et d’un bon enregistreur; le carnet de notes pour noter les informations essentielles du collectage. Et l’élément indispensable : le capteur de silences. Le problème c’est que cet appareil n’est pas dans le commerce. C’est un truc de ma fabrication que je peux vous fabriquer pour la modique somme de 300 $ (port compris).

 

Ode au silence, un cri qui vient du cœur

Deuxième chose : Aller sur le terrain

Il faut savoir choisir son jour. Un jour où vous êtes disponible, de préférence. Il faut savoir choisir son lieu. Vous savez qu’il y a des lieux de prédilection : les hôpitaux, certains tunnels, les églises, les cimetières, etc. Quand vous avez détecté un silence, il faut l’approcher toujours dans le sens inverse du vent pour éviter qu’il ne vous entende arriver. Une fois à une proximité raisonnable, enregistrez, puis retirez-vous discrètement sur la pointe des pieds.

N’oubliez pas de noter dans votre carnet de notes : la durée, les coordonnées géographiques, le type de lieu d’enregistrement, la date, l’heure et surtout l’auteur du silence et ses caractéristiques… pas de l’auteur, mais du silence produit par l’auteur. Car, un silence a toujours des signes caractéristiques.

Et, pour finir, il faut être conscient qu’il existe, autour de nous, deux sortes de silences : l’un que l’on fait et l’autre que l’on écoute. Et, si on l’écoute bien, on l’entend. Et, si on l’entend, on peut le comprendre.

Merci pour toutes ses précisions qui, je l’espère, capteront des amateurs de silences. Et ce fameux CD Silences naturels volume 1, où peut-on se le procurer?

Le problème, c’est qu’il est épuisé. Il est en réimpression.

C’est à mon tour de vous poser une question, si vous me le permettez :

L’arbre qui tombe dans la forêt, fait-il du bruit si personne ne l’entend tomber?

Silence

Heu… Merci Philippe Voisson

Christian Goichon, collaboration spéciale

 

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