Photo : Nakamura et al (Source)
L’arc-en-ciel des biochimistes

Une cellule, c’est minuscule! Il faudrait en aligner plus de cent rien que pour former une chaîne de seulement un millimètre. Pas besoin de dire que c’est un défi de taille pour les scientifiques qui les étudient. En plus, les cellules sont pratiquement transparentes. Même avec un microscope, on ne peut distinguer que leur contour. Et puis, cet instrument n’est pas assez puissant pour montrer les protéines ou les gènes encore plus petits à l’intérieur. Heureusement, les chercheurs ont mis au point un arsenal biochimique sophistiqué pour colorer de façon précise les cellules et leur intérieur. Grâce aux couleurs, ces dernières se font belles pour dévoiler leurs secrets aux scientifiques.

Mauve ou le rouleau à peinture

La moelle osseuse contient des cellules de toute les formes et de toutes les tailles. Notez, par exemple, que les noyaux de certaines cellules, colorés en mauve foncé, sont de tailles différentes. Les « ronds blancs » sont de la graisse. Il est normal d’en trouver là, mais elle ne peut être peinte comme les cellules. (Source)

La façon la plus simple de colorer des cellules, c’est encore de les peindre. Le plus souvent, les biochimistes utilisent deux peintures bien spéciales en même temps. L’une colore les cellules en rose et, l’autre, leur noyau (là où se trouve l’ADN) en mauve foncé. Cette coloration permet de voir rapidement la forme des cellules, leur nombre, la taille du noyau ainsi qu’une foule d’autres détails visibles pour l’œil exercé du spécialiste. Ça peut lui suffire à savoir si des cellules sont en santé ou cancéreuses.

Cellules de tumeur abdominale. Moore, M. et al, Abdominal cavity myolipoma presenting as an enlarging incisional hernia, Radiology Case Reports, Vol 1, No 1 (2006). (Source)

Orange ou des lumières dans la nuit

Nageoire d’embryon de pieuvre. (Source)

La nouvelle tendance en microscopie, c’est la fluorescence. Des molécules fluorescentes sont des molécules capables d’émettre de la lumière. Dans le noir, les cellules teintes avec des substances fluorescentes sont donc faciles à voir. Et on peut ainsi obtenir des images spectaculaires. Par exemple, avec un colorant fluorescent orange, on peut très bien voir qu’un embryon de pieuvre possède des nageoires.

Bleu ou le blues de l’ADN

Cependant, d’autres substances fluorescentes ne colorent qu’une partie de la cellule. Par exemple, une petite molécule fluorescente bleue appelée DAPI ne colore que l’ADN et rien d’autre. Sur la photo, on peut voir que l’ADN s’étend dans tout le noyau, sauf au centre, où une cellule-mère se divise en deux cellules-filles. L’ADN de la mère est alors compacté avant d’être séparé entre les deux filles.

Rouge ou la tête chercheuse

Les neurones contiennent des réseaux de transport internes particulièrement développés. (Source)

L’organisme humain peut fabriquer plus de 25 000 protéines différentes. Comment un biochimiste peut-il en détecter juste une à l’intérieur d’une cellule? Grâce aux anticorps.

Les anticorps sont des molécules du système immunitaire. Chacun est capable de reconnaître une seule protéine et de se coller dessus. Attention! On dit bien une seule protéine et pas une autre! C’est donc très utile pour résoudre notre problème. Les biochimistes savent en effet comment fabriquer des anticorps. Donc, un chercheur va fabriquer des anticorps qui collent seulement à la protéine qu’il veut détecter. Puis, il leur attache une molécule fluorescente. Il fabrique ainsi des anticorps fluorescents qui ne vont se coller qu’à la protéine qu’il cherche.

La tubuline est une molécule qui sert à construire des « rails » de transport à l’intérieur d’une cellule. Grâce à un anticorps fluorescent rouge qui colle à la tubuline, on peut visualiser la densité du réseau de transport dans le corps d’un neurone et ses extensions en direction d’autres neurones.

Jaune ou les feux de la circulation des chercheurs

Une expérience biochimique haute en couleur! Adapté de Takagi, Y. et al, STAT1 Is Activated in Neurons After Ischemia and Contributes to Ischemic Brain Injury. Journal of Cerebral Blood Flow & Metabolism (2002) 22, 1311–1318. (Source)

Les biochimistes ne se servent pas seulement d’anticorps fluorescents rouges, mais aussi de verts. Or, quand de la lumière rouge est mélangée à de la lumière verte, ça produit du jaune. Par exemple, quand le cerveau d’une souris est touché par une certaine maladie, les neurones atteints se suicident pour le bien commun. Et des chercheurs ont voulu savoir si une protéine appelée Stat-1 avait un rôle à jouer dans ce suicide collectif.

Première étape : sur la première ligne horizontale de photos, identifier les neurones grâce à un anticorps fluorescent rouge qui colle à une protéine présente seulement dans les neurones. Deuxième étape : identifier les cellules suicidaires grâce à un anticorps fluorescent vert. Troisième étape : superposer les deux images. On voit alors que des cellules sont jaunes. Cela veut dire qu’elles émettent à la fois du rouge et du vert, donc que ce sont des neurones suicidaires.

Refaisons la même expérience, mais chez une souris qui n’a pas la protéine Stat-1. Les résultats sont sur la deuxième ligne horizontale de photos. Quand on superpose les images, on n’observe presque plus de jaune. On a donc des cellules rouges qui n’émettent pas de vert. Cela veut dire que les neurones ne sont pas suicidaires. Les souris ont donc besoin de la protéine Stat-1 pour induire ce suicide collectif qui élimine les neurones malades.

Vert ou l’espion génétique

Juste dans les neurones! Un gène qui sait ce qu’il veut! (Source)

Et pour compléter les couleurs de notre arc-en-ciel, voici la protéine à fluorescence verte. C’est une « star » chez les chercheurs. Cette protéine a été découverte chez une méduse! Elle n’est pas toxique pour les animaux et on s’en sert pour voir où et quand un gène est activé. Le truc consiste à coller le gène qui fabrique la protéine à fluorescence verte au gène qu’on veut étudier. Ainsi, les deux gènes fonctionnent ensemble. Soit les deux gènes sont actifs en même temps et l’un des deux produit la protéine à fluorescence verte, soit ils sont inactifs en même temps et on n’a pas de vert. Jamais l’un n’est actif sans l’autre. Donc partout où on voit du vert dans la cellule ou l’organisme, le gène qu’on veut analyser est actif.

Ainsi, en collant le gène de la protéine à fluorescence verte au gène appelé nestine, le chercheur québécois Frédéric Charron a pu constater que le gène nestine est actif dans un fœtus de souris, mais uniquement dans son cerveau et sa moelle épinière.

Bruno Lamolet | 10 janvier 2011