Pris à quelques minutes d’intervalles, ces quatre clichés montrent deux ciliées en train de se reproduire par conjugaison. Les partenaires s’échangent une copie de leur patrimoine génétique qu’ils fusionnent par la suite au leur. Source : Marie-Laure de Boutray /Etienne Triaud
Je, tu, il, nous, vous, ils se reproduisent... par conjugaisons

Multiplication asexuée, parthénogenèse, hermaphrodisme, reproduction sexuée,… Les stratégies de reproduction du règne animal sont sans égaux. Ici, on assiste aux quatre temps d’une « danse  nuptiale » chez les ciliés. Très singulier dans leurs ébats, ces unicellulaires pratiquent la reproduction par conjugaison. Ces ébats leur confèrent un avantage évolutif certain, leur permettant même dans des conditions les plus défavorables d’avoir une population génétiquement diversifiée et résistante.

Marie-Laure de Boutray, étudiante-chercheuse à l’École Polytechnique de Montréal, en génie civil, s’intéresse de près à ces microorganismes très particuliers. Les ciliés ou Ciliophora figurent parmi les protozoaires, grand groupe d’organismes unicellulaires plus complexes que les bactéries. Possédant une bouche et un anus, ils sont entièrement recouverts de fins cils vibratiles qu’ils utilisent pour se déplacer et collecter leur nourriture principalement constituée de bactéries, de flagellés, d’algues et de particules organiques. Présents sous différentes formes (libres, parasites, symbiotiques), ils vivent dans les milieux aquatiques tels que les eaux douces, saumâtres, les boues… C’est cette dernière catégorie qui intéresse plus particulièrement Marie-Laure de Boutray. En effet, la chercheuse étudie la microfaune des boues des bassins piscicoles et l’influence de cette dernière sur les flux de phosphore. Elle réalise ainsi de nombreuses photographies lors de l’identification des espèces présentes dans les boues qu’elle recueille. C’est justement en observant l’un de ses échantillons au microscope électronique que la chercheuse a pris en flagrant délit d’accouplement ce couple de ciliés.

Deux types de reproduction

Les ciliés peuvent se reproduire de deux manières. Par fission binaire (reproduction asexuée). C’est-à-dire qu’une cellule « mère » se divise en deux cellules « filles ». Il s’agit d’une forme de clonage naturel où les deux « enfants » sont génétiquement identiques à leur « mère ». Jusqu’à présent, rien de spécial… plusieurs autres organismes de leur taille (20 à 100 µm) se reproduisent de cette manière. Cependant leur reproduction sexuelle est plus singulière. En effet, chez la plupart des organismes, lors d’un accouplement, il y un mâle et une femelle. Grâce à son sperme le mâle féconde les œufs de la femelle. Les ciliés, eux, procèdent par conjugaison.

1+1 = 1

Cette reproduction sexuée « hors normes » est rendue possible par la présence de deux noyaux. Le micronoyau, directement impliqué dans la reproduction sexuelle, assure la réplication de l’ADN tandis que le macronoyau régule la transcription du génome et assure les fonctions vitales de l’organisme. Lors de la reproduction par conjugaison, les deux ciliés se collent bouche à bouche (image 1). Ce contact déclenche, chez chaque individu, la dégradation du macronoyau. Le micronoyau, quant à lui, se divise en quatre. Trois des quatre nouveaux micronoyaux meurent alors que le quatrième se divise à nouveau en deux. L’un d’eux sera échangé avec le partenaire. Ainsi chacun des ciliés reçoit une copie du matériel génétique de l’autre tout en conservant une copie pour lui-même (images 2 et 3). Ensuite, les partenaires se séparent (image 4) et chacun fusionne ses deux micronoyaux pour en former un seul pendant qu’un nouveau macronoyau se reforme. Les deux individus sont maintenant génétiquement identiques tout en étant devenus différents de ce qu’ils étaient avant la rencontre.

Au milieu de sa vie, un cilié peut subir une transformation complète et « devenir » un nouvel individu avec un nouveau génome. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une reproduction sexuelle mais plutôt d’un simple échange de matériel génétique. Une fois que les « nouveaux » individus sont formés, ils peuvent ensuite créer leur progéniture par la reproduction asexuée.

Le sexe adapté

Pourquoi compliquer les choses avec le sexe? Pourquoi ne pas simplement se cloner à l’infini?

La reproduction par conjugaison est utilisée lors de conditions favorables. Elle est plus longue et plus compliquée que la reproduction asexuée, mais elle permet une diversification génétique et une meilleure résistance. Cependant lors d’un stress environnemental, les ciliés tendent à se reproduire aussi rapidement que possible pour augmenter leurs chances de survie à court terme. Ils optent alors pour une reproduction asexuée leur permettant de doubler la population à chaque génération.

Les ciliés n’en finiront donc jamais d’étonner les scientifiques. Leur diversité génétique, leur résistance, leur reproduction rapide… toutes ces raisons font de ces unicellulaires d’excellents modèles pour la recherche fondamentale. En effet, de nombreuses percées ont été réalisées à partir de ces microorganismes. Citons parmi celles-ci, la découverte des ribozymes (molécule d’ARN ayant une activité catalytique) et l'analyse des télomères et de la télomérase.

Sophia Akl et Alexandre Jay | 15 décembre 2010