|
|
|
La galaxie en spirale Messier
81 ou M81. Elle est localisée à 12 millions d’années-lumière,
dans la constellation de la Grande Ourse. Source : NASA |
Des chercheurs qui se prennent pour des artistes |
Mots-clés : Image scientifique,
art, esthétisme
Sacrés scientifiques, voilà qu’ils
se mettent à faire de l’art à tout va!
Ils ne se contentent plus seulement de vouloir le vrai, maintenant
ils exigent aussi le beau! Photos de galaxies époustouflantes,
images médicales colorées, fractales spectaculaires,
structures nanométriques raffinées… Certaines
images scientifiques sont si éblouissantes qu’elles
méritent certainement d’êtres exposées.
Pourtant, en recherche scientifique, l’esthétique
n’est pas un critère de pertinence. Un chercheur
n’a aucune intention artistique a priori. Il
produit une image dans le but d’y trouver des informations
pour ses recherches. Dans ces conditions, l’image scientifique
peut-elle prétendre être une œuvre artistique
? Ou n’est-elle qu’une pâle imitation de l’art?
Selon Bernard Lévy, rédacteur
en chef de Médecine Sciences et de Vie
des arts, chacun est libre de refuser ou d’accepter
ce qu’il veut comme de l’art. « C’est
votre droit par exemple de rejeter qu’un carré
noir sur fond blanc comme en peignait Malevitch soit une œuvre
d’art », explique-t-il. Pour lui, les
critères qui définissent une production artistique,
sont ceux que se donne l’artiste et ceux que considèrent
les personnes qui regardent son travail. « Depuis
la fin du XIXe siècle, il n’y a plus vraiment
de critères de définition de l’art, par
exemple, les proportions à l’intérieur
d’une œuvre, continue le rédacteur
en chef. Dès lors qu’il y a reconnaissance
de la valeur artistique d’une création par un
spectateur, c’est de l’art. Réciproquement,
est scientifique ce qui est reconnu comme tel par les pairs. »
|
|
|
Les fractales sont des
objets mathématiques dont la forme est fragmentée,
itérative et spectaculairement développée
dans une cascade de détails se répétant
à diverses échelles. Source : Wikipédia |
|
La
science et l’art sont des démarches
Adieu donc l’idée de se fier à
l’esthétique d’une image scientifique pour
la dire artistique. « L’esthétisme
est une grille de notation en fonction de critères
figés (symétrie, harmonie des couleurs) dépendant
de l’histoire de l’art, reprend Bernard Lévy.
Une œuvre qui ne correspond pas aux critères
esthétiques de l’impressionnisme sera disqualifiée
comme appartenant à ce mouvement. C’est différent
du beau, qui est un absolu inatteignable et entièrement
subjectif. Toutefois, la beauté n’est pas le
privilège de l’art, mais de toutes les activités
humaines. » Comme la science.
Pour Bernard Lévy, l’œuvre
est un déroulement : sa valeur artistique réside
dans la démarche de l’artiste. L’intuition
et l’imagination qu’on invoque souvent dans ce
processus « sont des qualités humaines
qui s’appliquent avec autant de bonheur aux sciences ».
Que l’artiste ait utilisé un pinceau ou qu’il
ait travaillé à partir de cultures bactériennes
comme le fait la plasticienne Annie Thibault, « l’outil
et le matériau sont secondaires du moment que ça
plait à quelqu’un, soutient Bernard Lévy.
Cette résonance que doit provoquer une œuvre
d’art chez le public pourrait être l’émotion
qu’elle suscite : un rire, une larme, la peur,
etc. Certaines démarches scientifiques peuvent être
bouleversantes et rejoignent tout à fait cette idée. »
Ce qui semble finalement important aux yeux
de Bernard Lévy pour évaluer une œuvre,
c’est de regarder si la production correspond avec l’intention.
« Si j’annonce que je vais dessiner une
fleur et qu’en réalité je fais un bateau,
il y a de quoi contester mon travail », donne-t-il
en exemple. C’est cette coïncidence entre intention
et réalisation qui serait critiquable. « La
discussion porte uniquement sur le partage d’un point
de vue entre l’artiste et son public ou entre les spectateurs
eux-mêmes : l’œuvre concrétise-t-elle
bien l’intention? Mais en aucun cas elle ne peut concerner
nos goûts respectifs. En art, tout le monde a le droit
de juger, d’aimer ou pas », affirme
le rédacteur en chef de Vie des arts. |
|
|
LABORATOIRE. Sous
l’antre de la chambre stérile (détail)
© Annie Thibault 2004 |
|
L’art
derrière la science accessible à tous
L’image scientifique peut donc être objet
d’art. Mais réciproquement, l’art peut-il être
source de connaissance? Ce à quoi Bernard Lévy
répond : « la connaissance qui
émane de l’art est de l’ordre de l’esthétique
dans le sens qu’elle invite n’importe qui à
se confronter à soi-même en tant qu’être
moral et en tant qu’être face au beau ».
Ainsi, une œuvre d’art et la connaissance
qu’elle propose seraient accessibles à tous.
« La science aussi est destinée à
tout le monde, mais son problème c’est qu’elle
est souvent écrite dans un langage trop complexe »,
déplore-t-il. « Alors, si je suis devant
une équation alambiquée mais que sa représentation
devant moi est une belle image, je n’ai peut-être
pas accès à sa compréhension scientifique,
mais je peux être sensible à son apparence. »
Dans ce cas, l’absence de mots pour décrire
(ou évanescence) pourrait être une parenté
entre arts et sciences affirme Bernard Lévy. Selon
lui : « Le dessin d’un artiste ou
le dessin d’une équation sont énigmatiques,
c’est-à-dire qu’il y a derrière un problème
que l’on peut résoudre. C’est différent
du mystère, qui lui ne peut pas être résolu
et qui relève donc du mystique. » |
|
|
Les chromosomes (en
bleu) sont protégés à leurs extrémités
par des séquences d’ADN très spécifiques,
les télomères (en rouge). Source : Marie-Ève
Brault, Université McGill |
|
Apprivoiser
la science grâce à l’art
De ce fait, alors que le cliché d’un
nuage interstellaire, par exemple, représente avant
tout pour le scientifique une série de points qui lui
permet d’observer des objets célestes, pour le
grand public, c’est d’abord une belle photographie.
Cette image pourrait servir d’accroche au vulgarisateur
afin d’intéresser à la recherche scientifique.
Mais l’appréciation de la valeur esthétique
d’une image, comme celle-là, ne va-t-elle pas
de pair avec une éducation culturelle?
Pour Bernard Lévy, « l’éducation
rend plus apte à tout et elle est toujours nécessaire.
Elle permet par exemple de mieux apprécier un opéra
ou de mieux savourer une pièce de théâtre. »
Mais ce que peut apporter l’art à travers l’image
scientifique, c’est que « même
si une personne n’y connaît rien, elle devrait
pouvoir apprécier ce qu’on lui propose car l’art
s’adresse à notre essence même en tant
qu’être humain. »
• Matthieu
Burgard | 12 mai 2009 |
|
|
|
|
|
|