Ce réseau est construit en calculant le nombre de fois que deux chercheurs ont été cités ensemble dans tous les articles publiés au cours de la période 1905-1911. Source : Yves Gingras, Université du Québec à Montréal
La communauté des physiciens

Mots-clés : cartographie des réseaux, physiciens, évolution

Un chercheur ne vient jamais seul et sa position n’est jamais assurée. Ces deux cartes le prouvent bien.

« Réaliser cette cartographie des réseaux de physiciens m’a littéralement permis de “voir” évoluer la structure conceptuelle d’une discipline scientifique », lance d’entrée de jeu Yves Gingras. En 1905-1911, des physiciens majeurs comme Albert Einstein, Max Planck, Joseph J. Thomson et Hendrik A. Lorentz sont au centre du réseau. La physique quantique, les corps noirs et la théorie de l’électron sont alors beaucoup discutés. Entre 1925 et 1930, ce sont plutôt la spectroscopie et la mécanique quantique qui sont les domaines majeurs, ce qui amène Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger Wolfgang Pauli ou Paul Dirac au centre du réseau. Le champ est aussi beaucoup plus diversifié. En 1900, on y compte 1500 chercheurs, alors qu’en 1944, ils sont 8000.

« Les outils traditionnels des historiens des sciences conviennent bien pour suivre l’évolution des carrières des individus et de leurs productions. Mais ils laissent dans l’ombre les tendances globales qui structurent le champ dans son ensemble », commente l’historien et sociologue des sciences à l’Université du Québec à Montréal.

 
L’intensité des liens entre deux chercheurs est proportionnelle au nombre de fois qu’ils ont été cités ensemble dans les articles publiés au cours la période 1925-1930. Source : Yves Gingras, Université du Québec à Montréal
 

Pour réaliser ces cartes, il a combiné les méthodes de la bibliométrie et de l’analyse des réseaux sociaux. Les réseaux qu’il présente ici sont des réseaux « conceptuels » – et non pas « sociaux » – construits en calculant le nombre de fois que deux chercheurs (Einstein et Lorentz, par exemple) ont été cités ensemble dans tous les articles publiés au cours de la période étudiée (soit 1905-1911 et 1925-1930). L’intensité des liens est proportionnelle au nombre de cocitations entre les chercheurs.

« Le concept de “centralité”, très important dans l’analyse des réseaux sociaux, est ici appliqué aux cocitations. Et cette centralité, qui est en fait la somme des liens qui convergent vers un chercheur (un nœud du réseau), devient un indicateur pour suivre le changement de position des chercheurs (du centre vers la périphérie ou l’inverse) et de ce fait, l’évolution de la structure de la discipline elle-même. »

Yves Gingras a tiré ses données du Century of Science, une base produite par Thomson-Reuter et contenant les données bibliographiques des articles parus dans 266 revues scientifiques importantes publiées entre 1900 et 1944. Il y a relevé pour le seul champ de la physique 555 123 références tirées de 50 275 publications. De ces références, il n’a retenu que les chercheurs les plus cocités.

Johanne Lebel | 12 mai 2009