Cette image en couleurs a été captée par le télescope W.M. Keck II. Les trois planètes (représentées par des points rouges) se trouvent respectivement à 25, 38 et 68 unités astronomiques (une unité astronomique étant la distance moyenne entre la Terre et le Soleil). L’amas coloré du centre est un résidu de lumière dans l’immense halo de l’étoile. Source : Christian Marois, Conseil national de recherches du Canada
Photos de voyage… exoplanétaire!

Mots-clés : Exoplanète, photo, astronomie

Découvrir des planètes en dehors du système solaire, c’était presque devenu banal. On en connaissait déjà plus de trois cents, mais, lorsqu’en novembre 2008, une équipe internationale d’astrophysiciens dirigée par un Québécois annonce la découverte d’un nouveau système planétaire, la nouvelle provoque cette fois-ci tout un émoi. Jusqu’à présent, toutes les planètes connues en dehors de notre système solaire ont été détectées sans avoir été vues directement. Or, l’équipe de Christian Marois, de l’Institut Herzberg d’astrophysique du Conseil national de recherches du Canada, a réussi à prendre des photos des planètes qu’elle a découvertes. À la veille de 2009, l’année internationale de l’astronomie, pour la première fois, on a vu des exoplanètes!

Le système planétaire découvert par Christian Marois et son équipe se situe dans la constellation de Pégase, à environ 130 années-lumière de la Terre. Il est environ deux fois plus grand que le nôtre. Son soleil est l’étoile HR8799; trois planètes tournent autour de lui, trois exoplanètes qu’on a pu voir, parce qu’on a su capter leur lumière, alors qu’habituellement, on détecte leur présence indirectement, c’est-à-dire à partir des perturbations qu’elles font subir à la trajectoire de leur étoile dans la galaxie.

 
Ces images juxtaposées représentent le système exoplanétaire et notre système solaire à la même distance. Elles montrent la grosseur du système découvert par l’équipe de Christian Marois. Dans notre système solaire, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton sont représentées. Source : Christian Marois, Conseil national de recherches du Canada
 

Première observation directe

Prendre des photos, c’est facile. Mais y reconnaître des planètes, c’est une autre paire de manches. « Nous avons d’abord dû vérifier que les trois objets autour de HR8799 étaient bien “attachés” gravitationnellement à elle comme des planètes. C’est-à-dire qu’ils se déplaçaient avec elle et qu’ils tournaient bel et bien autour de l’étoile, relate Christian Marois. Pour cela, il nous a fallu capter des images à plusieurs mois d’intervalle. Nous avons aussi pris des photographies qui détectent la lumière infrarouge, car c’est ce type de lumière qu’ils émettent le plus abondamment. »

Dans un second temps, l’équipe a évalué la luminosité des planètes pour différentes couleurs. « Grâce à nos connaissances sur la formation des planètes, nous pouvons faire correspondre la luminosité des objets avec leur âge, pour ensuite déterminer leur masse, explique le chercheur. Nous avons ainsi établi que ce système solaire est très jeune. Il est âgé d’environ 60 millions d’années alors que le nôtre date de 4,6 milliards d’années. Les exoplanètes découvertes sont en outre très grosses. Plus de 1 500 fois la masse de la Terre! »

En observant les clichés rapportés par l’équipe de Christian Marois, on note que les planètes apparaissent comme des points de couleur rouge. Qu’en est-il en réalité? « Nos travaux semblent indiquer que, si on les visitait, ces planètes nous apparaîtraient probablement rouges », estime l’astrophysicien.

 
Séquence de réduction d’images prises au télescope Keck. Celle de gauche est une image brute. Celle du milieu représente la même image après avoir soustrait le signal de l’étoile par la méthode d’imagerie différentielle angulaire (ADI). On y perçoit clairement deux des trois planètes. L’image de droite est la somme d’une centaine d’images captées avec 10 secondes de temps d’intégration, après soustraction du signal de l’étoile par ADI. On distingue bien les trois planètes. Source : Christian Marois, Conseil national de recherches du Canada
 

Des techniques d’imagerie sophistiquées

Pour prendre de telles photos, il a fallu se servir des télescopes Keck et Gemini Nord, situés au sommet du Mauna Kea, à Hawaii. « Il faut utiliser de grands télescopes afin d’obtenir la netteté d’image nécessaire pour pouvoir distinguer la lumière des planètes de celle de leur étoile, précise Christian Marois. Or, même si nous travaillons avec ce type d’instruments, la lumière des planètes demeure enfouie dans celle de l’étoile, parce que les premières sont des centaines de milliers de fois moins lumineuses que cette dernière. » Pour réussir à les observer adéquatement, il faut donc utiliser des instruments qui sont en mesure d’aller littéralement ‘‘chercher’’ la lumière des planètes, perdue dans le halo diffus de lumière de l’étoile.

Pour soustraire la lumière de l’étoile, l’équipe de Christian Marois a utilisé une technique spéciale d’observation et d’analyse de données qu’il a mise au point au cours de son doctorat : l’imagerie différentielle angulaire. « Lorsqu’un télescope suit une planète dans le ciel, l’image de celle-ci tourne sur elle-même dans le télescope à cause de la rotation de la Terre, indique le chercheur. Pour contrebalancer ce phénomène, les grands télescopes, comme ceux que nous avons utilisés, sont dotés de rotateurs qui compensent pour la rotation terrestre. Or, j’ai découvert qu’en désactivant le rotateur, alors que le télescope et les instruments suivent la planète sans compensation, la rotation de l’image de la planète permet de prendre des photos où l’on est ensuite capable de distinguer la lumière de la planète de celle de l’étoile. »

Dans ce but, l’astrophysicien et son collègue David Lafrenière ont conçu des logiciels de traitement et d’analyse de l’image qui permettent de soustraire la lumière de l’étoile. À la fin, il ne reste essentiellement que la lumière des planètes. « Grâce à cette technique d’imagerie différentielle angulaire, nous avons amélioré la capacité de détection des images par un facteur 100 », s’enthousiasme Christian Marois.

 
Première image captée par le télescope Gemini Nord du système exoplanétaire gravitant autour de l’étoile HR8799. L’image confirme la présence de deux des trois planètes (identifiées par les lettres « b » et « c »). À cause de la brillance de l’étoile centrale, les points représentant les planètes apparaissent blancs sur cette image, captée avec un système appelé le Near Infrared Imager (NIRI). Source : Christian Marois, Conseil national de recherches du Canada
 

Chercher dans l’immensité du ciel

Il a fallu des années de travail et d’observation pour parvenir à découvrir le système de planètes qui gravite autour de HR8799. Comment les experts ont-ils su à quel endroit du ciel pointer l’objectif des grands télescopes? « Il y a quelques années, nous avions observé de 80 à 90 étoiles de type solaire ou moins massives que le Soleil au télescope Gemini, raconte Christian Marois. Nous avions alors choisi des étoiles proches et jeunes, afin de favoriser la détection de planètes. Au bout de trois ans, nous n’avions rien trouvé. » Par la suite, le chercheur suggère à son équipe d’observer des étoiles jeunes, mais plus massives que le Soleil. Au début de 2007 s’amorce une deuxième série d’observations, ciblant 80 étoiles, dont 20 à 25 sont qualifiées de très intéressantes. HR8799 fait partie de cette sous-sélection. La suite fait maintenant partie de l’histoire…

L’étude par imagerie directe, telle que réalisée par Christian Marois et son équipe, ouvre donc un tout nouveau champ de recherches. Comme il est possible d’analyser la composition chimique d’un objet céleste grâce aux différentes couleurs qu’il émet et qu’on peut désormais capter la lumière d’une exoplanète, on pourra maintenant étudier la composition des exoplanètes. On pourrait donc affirmer sans se tromper que la découverte de l’équipe de Christian Marois est un grand pas pour l’humanité... ici et ailleurs!

Isabelle Pauzé | 12 mai 2009